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Article du Huffington post du 30/07/2019

Le modèle nucléaire français s'effondre et nous mène à la catastrophe

Par Corinne Lepage, ancienne ministre de l'environnement

L'effondrement du modèle nucléaire français devient une évidence pour tout le monde sauf pour le lobby nucléaire, appuyé par l'État, et dont le volontarisme est inversement proportionnel au succès de ses entreprises.

Un vieux proverbe rappelle qu' "il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre." L'effondrement, car c'est bien de cela dont il s'agit, du modèle nucléaire français devient une évidence pour l'ensemble de nos concitoyens -à l'exception du lobby nucléaire, appuyé par l'appareil d'État qu'il contrôle pour partie, dont le volontarisme est inversement proportionnel au succès de ses entreprises. Faute d'organiser immédiatement le changement de cap, en programmant la sortie du nucléaire pour 2040, l'inéluctable sortie aura quand même lieu mais avec des coûts financiers et sociaux colossaux en espérant que ne s'y ajoutera pas une catastrophe nucléaire qui viendrait détruire une partie de l'Hexagone et la totalité de son appareil industriel à commencer par le tourisme, l'agriculture et la viticulture pour ne citer que ce qui paraît le plus évident.

Le naufrage de Flamanville, que pour ma part j'avais annoncé dès 2011 dans mon ouvrage intitulé "La vérité sur le nucléaire" et plus encore en 2014 dans "L'État nucléaire" est purement et simplement la faute d'EDF. Pour avoir voulu forcer l'Autorité de Sûreté Nucléaire, en s'appuyant sur la puissance de l'appareil d'État, malgré les multiples et divers défauts, anomalies et manquements aux réglementations, EDF se retrouve dans l'incapacité de mettre en service une installation dont le coût est annoncé aujourd'hui à 11 milliards (3 à l'origine), sans doute beaucoup plus. Et, rien ne dit que les réparations sur les huit soudures seront réellement possibles sans affaiblir la sûreté globale. À ceci s'ajoute le fait qu'il paraît déraisonnable de faire démarrer une installation pour l'arrêter un an plus tard afin de démonter le couvercle qui ne saurait fonctionner au-delà de 2024. De plus, le décret de création sera largement obsolète, nécessitant non pas une prorogation -ce que cherchera à obtenir EDF- mais une nouvelle autorisation compte tenu des changements majeurs intervenus depuis le projet d'origine. Cette affaire de Flamanville démontre non seulement la perte totale de savoir-faire de notre opérateur national -ce qui est une très mauvaise nouvelle pour nous tous- mais encore le coût astronomique des nouvelles centrales nucléaires dont les exigences actuelles de sûreté leur ont fait perdre toute capacité de concurrence avec les énergies renouvelables.

Le coût des nouvelles centrales nucléaires est astronomique en raison des exigences actuelles de sûreté qui leur ont fait perdre toute capacité de concurrence avec les énergies renouvelables.

Cette affaire de Flamanville rend bien entendu impossible le lancement de nouveaux EPR en France comme l'aurait rêvé le gouvernement et le Président de la République, mais de surcroît fragilise grandement le projet d'Hinckley Point. Bien que le contrat soit secret -ce qui est quand même un comble compte tenu du fait que c'est le contribuable français qui paye-, il se pourrait que la mise en service de Flamanville fasse partie de conditions et qu'en tout cas, le retard au-delà de deux ans dans la réalisation du projet puisse remettre en cause le prix garanti, ce qui bien entendu serait une catastrophe financière supplémentaire pour la France. De plus, les études sorties récemment en Grande-Bretagne montrant la capacité de ce pays de se doter d'une énergie uniquement renouvelable en 2050, et à un coût moindre, pourraient bien a minima fragiliser la volonté du nouveau gouvernement britannique de continuer dans cette voie.

L'absence de lancement de nouveaux réacteurs en France remet bien entendu en cause l'absurde Programmation Pluriannuelle de l'Énergie (PPE) décidée par le gouvernement, repoussant à 2035 le passage à 50% de nucléaire. En effet, le vieillissement de nos centrales dont les premières auront 50 ans en 2028, ne permet pas nécessairement leur maintien en activité jusqu'à cet âge avancé voire même 60 ans comme le voudrait EDF, même si la comptabilité d'EDF a déjà intégré -que dirait-on d'une autre entreprise qui aurait ainsi fait joujou avec sa comptabilité- une durée de vie de 50 ans sans qu'aucune autorisation d'une telle durée ait été donnée par l'Autorité de Sûreté Nucléaire.

Les difficultés rencontrées par la centrale du Tricastin -première de la série des 900 MW à subir la visite décennale permettant d'aller jusqu'à 50 ans (même si l'anniversaire des 40 ans est déjà consommé)- relatées par la presse témoignent de l'accumulation des faiblesses et des risques et donc a minima des coûts correspondants relatifs aux exigences qui seront celles de l'Autorité de Sûreté Nucléaire. Or, heureusement pour les Français, et malheureusement pour EDF, les questions de sûreté nucléaire sont désormais des questions de droit communautaire, soumises au droit commun et relevant par conséquent du contrôle de la Commission, du Parlement européen et éventuellement de la Cour de Justice de l'Union européenne. De surcroît, le président et les membres de l'autorité de sûreté nucléaire pouvant se retrouver personnellement responsables de décisions intempestives qu'ils auraient été amenés à prendre sous la pression du gouvernement, ils ne manqueront pas comme ils l'ont fait pour Flamanville de refuser les autorisations si cela s'avérait nécessaire. Dès lors, une incertitude considérable existe tant sur la possibilité que sur le coût de la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires.

Enfin, last but not least, les questions financières sont devenues majeures. A l'endettement d'EDF annoncé à 33 milliards mais chiffré par certains à plus de 60 s'ajoutent les dizaines de milliards de l'opération dite "Grand carénage" et les milliards qui s'accumulent liés aux déboires des EPR, ce qui rend inéluctable la recherche d'argent. D'abord bien sûr dans la poche des usagers en augmentant de manière considérable les tarifs de l'électricité, le déploiement des compteurs Linky permettant au passage d'augmenter de manière non négligeable la facture de nombre d'abonnés. Pour le reste, l'État qui a déjà déboursé 7 milliards pour la filière en 2017 se verra sommé de contribuer. Sauf que la Commission européenne a déjà précisé qu'elle n'accepterait plus les aides d'État, d'où l'idée brillante de nationaliser EDF pour sa partie nucléaire permettant ainsi au contribuable de payer pour une filière dangereuse et non rentable. De l'Europe, il ne faudra rien attendre pour la filière nucléaire puisqu'il a été décidé que malgré le lobbying français en faveur d'une énergie "décarbonée", celle-ci n'était pas renouvelable et par voie de conséquence elle ne pourrait bénéficier de tous les fonds qui se dégagent en faveur de l'efficacité énergétique et du développement des énergies vertes.

Malgré tout cela, le gouvernement a décidé de continuer et d'accélérer, y compris en freinant autant que faire se peut le développement des énergies renouvelables -même si l'agit'prop communique inlassablement sur les investissements dans ce secteur. Ainsi, la volonté clairement affirmée de saboter -directement à l'encontre des obligations communautaires- le développement massif de l'autoconsommation collective qui permettrait de disposer très vite d'une énergie décentralisée, économe pour les usagers (du fait de l'absence de transport) traduit le mantra gouvernemental: tout faire pour favoriser le nucléaire!

La volonté affirmée de saboter le développement massif de l'autoconsommation collective qui permettrait de disposer très vite d'une énergie décentralisée, économe pour les usagers (du fait de l'absence de transport) traduit le mantra gouvernemental: tout faire pour favoriser le nucléaire!

Pourtant, nous pouvons faire autrement. Tout d'abord EDF énergies renouvelables est une entreprise qui réussit magnifiquement à l'étranger. Pourquoi la brider en France et ne pas lui permettre de devenir un leader national sur le territoire? Progressivement, le personnel d'EDF conventionnel pourrait passer à celui d'EDF énergies renouvelables et permettre ainsi sans violence sociale la fermeture des centrales nucléaires les plus anciennes dont les coûts de remise en état sont manifestement excessifs au regard des avantages de maintien de la production et des risques que l'usure des matériaux fait courir à l'installation et à son environnement. Un changement complet de perspective, en décidant d'appliquer dans l'esprit et de cesser de bloquer dans la lettre les directives communautaires de 2018 qui exigent de supprimer toutes les entraves (qu'elles soient fiscales réglementaires, financières, techniques..) permettrait le lancement d'un investissement massif tant des particuliers que des collectivités locales en faveur de toutes les formes d'énergies renouvelables, développant ainsi une activité locale et permettant de développer également le stockage de l'électricité qui devient beaucoup plus réaliste. Les communautés d'énergie prévues par la directive pourraient précisément être à la source de nouvelles organisations permettant aux citoyens de prendre directement part à la transformation inéluctable de nos conditions de vie.

Soyons clairs. De toute façon, l'énergie nucléaire est condamnée à terme et tout d'abord pour des raisons financières. Le manque de rentabilité ne peut même plus être compensé par la prétention à offrir une électricité d'une nature différente de celle des énergies dites intermittentes pour la bonne et simple raison que tout d'abord toutes les énergies renouvelables n'ont pas cette qualité et que de surcroît, les capacités de stockage deviennent de jour en jour de plus en plus grandes.

Nous avons donc le choix entre décider de construire de manière rationnelle et économiquement la moins coûteuse notre sortie du nucléaire sur 20 ans ou jouer la politique de l'autruche, essayer d'empêcher les Français de s'orienter et d'acheter de l'énergie renouvelable, subventionner une industrie qui sera vite moribonde au détriment de celle qui permettrait un réel développement d'activités économiques et au détriment des besoins sociaux de nos concitoyens. Car ne nous y trompons pas. La nationalisation d'EDF nucléaire exigera des milliards d'euros qui seront pris sur les dépenses sociales et qui seront financés aussi par une augmentation des impôts. Ainsi, nous aurons perdu sur tous les tableaux. Espérons que la rationalité et le bon sens seront pour une fois un critère de la politique énergétique française.