Comment EDF va prolonger la vie de ses vieux réacteurs nucléaires au-delà de 40 ans
Construits à partir de la fin des années 1970, les 34 réacteurs de 900 MWe (mégawatts) d'EDF ont atteint ou atteindront les 40 années de fonctionnement entre 2019 et 2030. Leur durée de vie sera prolongée. L'Autorité de sûreté nucléaire vient de rendre publiques ces conditions à savoir rapprocher leur niveau de sûreté de la dernière génération de réacteurs. EDF a cinq ans pour le faire et devra fortement augmenter ses capacités industrielles. Pour la filière nucléaire dans son ensemble, décrédibilisée par les errements du chantier de l'EPR de Flamanville, l'enjeu est considérable.
L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a ouvert la voie jeudi 3 décembre à la poursuite par EDF de l'exploitation de ces 34 plus anciens réacteurs nucléaires de 900 MWe (mégawatts). Si elle ne donnera son autorisation formelle pour chaque réacteur qu'au cas par cas, elle a rendu public un projet de décision permettant la poursuite de leur exploitation au-delà de 40 ans. Ces 34 réacteurs sont les plus anciens des 56 en activité que possède EDF. Ils ont atteint ou atteindront 40 années de fonctionnement entre 2019 et 2040. Du 3 décembre au 15 janvier, l'Autorité a aussi ouvert une consultation publique sur son projet de décision. Pourquoi? Sans doute pour suivre la mode de la fameuse Convention citoyenne sur le climat qui soit dit en passant s'était bien gardée d'aborder la question du nucléaire...
«La poursuite de l'activité au-delà de quarante ans est un sujet sensible qui revêt une importance particulière pour l'exploitant, mais aussi pour le public», a expliqué Bernard Doroszczuk, le président de l'ASN. «L'importance particulière» est notamment illustrée par les risques de pénurie d'électricité et de coupure de courant cet hiver et les suivants. Le gendarme du nucléaire français considère en tout cas que les dispositions prévues par EDF et celles qu'il a lui-même prescrites «ouvrent la perspective d'une poursuite de fonctionnement des réacteurs de 900 MW pour les 10 ans suivant leur quatrième réexamen périodique».
34 réacteurs construits sur le même modèle dans les années 1970
Ces 34 réacteurs ont tous été construits sur le même modèle. Leurs composants devaient être conçus à l'origine pour fonctionner quarante ans au minimum, ce qui ne veut pas dire qu'ils ne peuvent pas durer bien plus longtemps D'ailleurs, le travail de mise à niveau du parc des 900 MWe a déjà commencé depuis 2015 dans le cadre dit du grand carénage. Ces réacteurs vont ainsi faire tour à tour l'objet de leur quatrième visite décennale. Tous les dix ans, l'exploitant, c'est-à-dire EDF, est tenu d'effectuer un examen approfondi de l'état des installations et d'améliorer leur niveau de sûreté. Le réacteur numéro un de Tricastin dans la Drôme (voir photographie ci-dessus) a été le premier à connaître son quatrième arrêt décennal.
En Suède et en Suisse, des réacteurs similaires ont déjà largement dépassé les 40 années de fonctionnement. Aux Etats-Unis, des autorisations viennent d'être accordées pour aller jusqu'à 80 ans. En France, les acteurs du nucléaire prônent une prolongation jusqu'à 60 ans en considérant que c'est une option raisonnable à la fois en matière de sûreté et de sécurité de l'approvisionnement électrique du pays. Elle est d'autant plus envisageable, d'après EDF, que la plupart des éléments de ces réacteurs peuvent être remplacés et modernisés, à l'exception toutefois de leurs cuves et leurs enceintes de confinement.
Amener la sûreté au niveau des EPR de dernière génération
Saluant «l'ampleur des modifications prévues par EDF» dans ses centrales les plus âgées, le gendarme du nucléaire lui a tout de même demandé d'aller plus loin. Il veut notamment s'assurer de la «maîtrise des phénomènes de vieillissement» et a donné cinq ans à EDF pour réaliser les travaux.
«Les dispositions prévues par EDF, complétées par les réponses aux prescriptions formulées par l'ASN, permettront d'atteindre les objectifs du réexamen et de rapprocher le niveau de sûreté des réacteurs de 900 MWe de celui des réacteurs les plus récents (troisième génération)»,écrit l'ASN.
La sûreté de ces réacteurs devra ainsi être théoriquement au même niveau que celle de l'EPR, réacteur de dernière génération, considéré comme une référence en la matière. Les EPR, réacteurs de type Flamanville, dont les deux seuls en service aujourd'hui se trouvent en Chine, disposent notamment d'un système de refroidissement supplémentaire et d'un récupérateur de corium que n'ont pas les réacteurs de 900 MWe. Le corium est le magma constitué d'éléments fondus du cœur d'un réacteur nucléaire en cas d'accident grave.
Les deux dispositifs ont été imposés sur les nouveaux réacteurs par l'ASN en 2012, un an après l'accident de Fukushima. Le système de refroidissement supplémentaire permet d'injecter de l'eau borée dans le bâtiment du réacteur pour limiter sa surchauffe. Le récupérateur de corium est installé sous la cuve du réacteur. Si elle est percée, il peut récupérer le corium et empêcher qu'il ne traverse la dalle en béton de la structure de confinement.
EDF devra doper ses capacités industrielles et ne plus répéter les errements du chantier de l'EPR de Flamanville
Les réacteurs 900 MWe devraient donc être équipés de ces deux dispositifs pour pouvoir fonctionner dix ans et peut-être même vingt ans de plus. Comme l'installation de récupérateurs de corium ne sera pas toujours physiquement possible, l'ASN demande «le renforcement de certains murs en béton dans les locaux dans lesquels le corium serait étalé».
Mais la principale question tient à la capacité d'EDF et de ses sous-traitants à réaliser les travaux dans les délais et avec la qualité requise. Les difficultés récurrentes du chantier de l'EPR de Flamanville ont soulevé de sérieux doutes sur la compétence de la filière nucléaire française. Par ailleurs, l'ampleur de la tâche à accomplir pour étendre la durée de vie de 34 réacteurs est considérable dans un laps de temps assez court. EDF estime que ces capacités industrielles devront être multipliées par cinq pour assurer le rythme des travaux. L'ASN a conscience de l'effort que devra faire EDF. «Le défi industriel dans les cinq années qui viennent est considérable», déclare Bernard Doroszczuk.
Et pour éviter que se reproduisent les errements de Flamanville, l'ASN annonce une surveillance renforcée. «EDF devra rendre compte chaque année de sa capacité industrielle», explique Bernard Doroszczuk, qui indique que sur ce chantier «on ne pourra accepter que le calendrier glisse comme pour des constructions neuves». Comme pour l'EPR de Flamanville...