LA SURETÉ DE LA CENTRALE DU TRICASTIN A L'AUBE DE SA QUATRIÉME VISITE DECENNALE

09/07/2021

Par Bernard Laponche, ancien ingénieur du CEA, physicien nucléaire Janvier 2020

RESUMÉ

Les 32 réacteurs nucléaires de 900 MW de puissance électrique qui équipent 8 des 18 centrales en fonctionnement d'EDF vont atteindre 40 ans de durée de fonctionnement sur la période 2019-2027 et auraient dû, selon les prévisions du début des années 2000, connaître alors leur arrêt définitif. Mais EDF a annoncé en 2008 son intention de prolonger cette durée de 10 ans, voire 20 ans.

Le contrôle approfondi de la sûreté des réacteurs par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) se fait par les visites décennales dont le résultat lui permet d'autoriser ou non la poursuite du fonctionnement de chaque réacteur. La quatrième visite décennale revêt une importance particulière car l'autorisation de la poursuite au-delà de 40 ans ne sera possible que si chaque réacteur respecte les exigences de l'ASN : assurer la conformité du réacteur au référentiel de sûreté, assurer la mise en œuvre complète des mesures « post-Fukushima » définies après la troisième visite décennale et apporter des améliorations au dispositif de sûreté afin de le rapprocher de celui de l'EPR.

Par rapport à ces enjeux, la présente note étudie le cas de la centrale du Tricastin dont le réacteur n°1 a été le premier à effectuer sa quatrième visite décennale (VD4) de juillet à décembre 2019.

Afin de permettre un jugement sur « l'état de santé » des réacteurs du Tricastin avant le « saut dans l'inconnu » que représenterait la poursuite du fonctionnement au-delà de 40 ans, la note dresse un inventaire des incidents de niveau 1 et 2 sur l'échelle INES advenus sur la période 2010-2020 et procède à leur analyse : 84 incidents ont été recensés, dont 2 de niveau 2, avec une pointe de 15 incidents en 2019. Un incident de niveau 2 est grave car il peut aboutir à une fusion du cœur et par conséquent à un accident grave ou majeur. La prise en compte du fait que certains incidents sont communs à plusieurs réacteurs porte le décompte total à 147 couples « incident-réacteur », dont l'incident de niveau 2 de 2011 pour les réacteurs 3 et 4 et celui de 2017 pour les 4 réacteurs. Le réacteur le plus touché est Tricastin 1, avec 43 incidents.

Les incidents sont de natures diverses et sont classés en cinq catégories : exploitation, maintenance, incident de radioactivité pour des travailleurs, équipements défaillants sans agression extérieure et équipements défaillants en cas de séisme. Les incidents d'exploitation sont les plus nombreux, chacun relatif à un seul réacteur et d'une régularité inquiétante, 3,5 en moyenne chaque année, la cause étant très généralement le non respect des règles d'exploitation. Viennent ensuite les incidents sans agression extérieure, les incidents de maintenance, de radioactivité et de défaillance d'équipements.

La note met en évidence l'importance particulière pour la centrale du Tricastin du risque d'accident en cas de séisme, révélé par des incidents répétés touchant un large éventail de dispositifs vitaux pour la sûreté des réacteurs : défaillance des diesels de secours (incident de niveau 2 en 2011 sur les réacteurs 3 et 4), de vannes, pompes, tuyauteries, ancrages, alimentation en eau et en électricité et même des matériels de contrôle-commande. En septembre 2017, un incident particulièrement grave de niveau 2, le risque de rupture de la digue du canal de Donzère-Mondragon, a conduit l'ASN à imposer l'arrêt des 4 réacteurs, le temps de réaliser les travaux nécessaires. L'ASN a imposé à EDF en septembre 2019 de nouveaux travaux de renforcement de la digue.

Les risques liés au séisme constituent une vulnérabilité inacceptable de la centrale du Tricastin d'autant plus que depuis le séisme du Teil en novembre 2019, de fortes incertitudes pèsent sur le niveau du séisme de référence sur lequel élaborer les exigences de sûreté.

La conjonction d'un mauvais état des réacteurs confirmé par l'analyse des incidents sur les dix dernières années, de la complexité technique et organisationnelle des quatrièmes visites décennales et d'un risque sismique majeur conduit à la conclusion que la centrale du Tricastin devrait être arrêtée après 40 ans de fonctionnement.